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12 février 2015 4 12 /02 /février /2015 08:55

 

 

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Vendredi 6 février 2015

Par Yves Paccalet

Ils germent, ils croissent, ils embellissent (ou plutôt, ils enlaidissent !) tout autour de la planète. Au bord de la mer et des rivières ; dans les forêts boréales ou tempérées, méditerranéennes ou tropicales ; dans les bocages et les vallées ; sur les montagnes ; au bord de la mer ou sous la mer ; près des pôles autant que dans les déserts ; demain sur la Lune ou la planète Mars ! Je veux parler des "Grands projets idiots" – les "GPI", que certains nomment aussi les "Grands projets inutiles et imposés" ("GPII"). 

Prétexte à des opérations strictement financières

Ici, un grand barrage noie des hectares de forêts ou d’excellentes terres agricoles. Là, un gratte-ciel bat des records de hauteur pour satisfaire un mégalomane milliardaire. Plus loin, une piste de ski surprend dans un désert. Ailleurs, une piscine à vagues attire les vacanciers dans une station d’hiver. Un aéroport est aménagé à deux pas d’un autre sous-utilisé. Une autoroute dessert une cambrousse. Un hypermarché surgit en lisière d’un autre. Un TGV unit des villes moyennes, chacune avec son baron élu. Une gare à grande vitesse trône au milieu des betteraves. Un centre dit "de nature" se construit à la place d’une forêt : les clients sont priés de venir se "ressourcer" au bon air et à l’eau fraîche, là où le béton a remplacé l’ombre des arbres et la chanson des ruisseaux…

Les centres de vacances posent aujourd’hui un problème. Ils pullulent presque autant que les ronds-points – à la montagne ou au bord de la mer, à la ville comme à la campagne. La plupart d’entre eux figurent bel et bien dans la catégorie des GPI – des Grand projets idiots. Il s’agit, le plus souvent, d’un lotissement, c’est-à-dire d’un programme de bétonnage d’une esthétique douteuse et d’une utilité strictement financière, près d’un lieu de divertissement qui sert de prétexte à l’opération et en améliore le message publicitaire : complexe aqualudique, golf international, jardin de neige, etc.

Un projet plus bétonnant que surprenant

Les collectivités locales y voient une panacée pour leur BTP, leur commerce et leur emploi. Dans nombre de nos plus belles contrées, le tourisme d’artifice et de clinquant tient désormais lieu de filière de "développement" – le plus souvent, en dépit des réelles capacités du site à accueillir des foules. Les centres de vacances pullulent, et l’actualité nous les remet sur le tapis avec l’affaire de Roybon, qui nous vaudra peut-être la "une" des actualités dans les mois qui viennent – tant les radicaux du camp écolo se préparent à y installer ce qu’ils appellent une "ZAD", une "zone à défendre". L’action se situe au nord de l’Isère, en plein cœur de la forêt de Chambaran. Je connais cette sylve superbe. Je m’y suis baladé, comme à Sivens, d’ailleurs, l’autre "vedette" malheureuse de cette fin d’année 2014… La société Pierre & Vacances, et son patron, Gérard Brémond, veulent bâtir ici un "Center Parc" (rien que ce franglais dissuade…), avec 900 cottages et des installations de loisir, entre autres un "espace aqualudique".

Les écologistes et les citoyens raisonnables regardent de travers cette idée plus bétonnante qu’étonnante, en arguant qu’un centre aqualudique ne saurait mieux rapprocher les vacanciers de la nature et de l’eau pure, que la forêt et les torrents à la place desquels les bâtiments seraient édifiés ! Les opposants ont saisi la justice en réclamant l’abrogation des deux arrêtés préfectoraux qui autorisaient le début des travaux, et qu’avait validés le préfet de l’Isère en dépit de l’avis négatif de la Commission d’enquête publique.

Que tout cela se finisse sans violence

Le tribunal administratif de Grenoble a rendu son verdict : il a suspendu l’un des deux arrêtés, en estimant qu’il existait un doute "quant à la suffisance des mesures prévues pour compenser la destruction de zones humides". De même, le tribunal a "considéré qu’un doute existait sur la légalité" dudit arrêté, "en raison de l’absence de saisine de la Commission nationale du débat public, laquelle est obligatoire pour les équipements touristiques dont le coût estimatif excède 300 millions d’euros". En revanche, le juge a rejeté le recours des écologistes sur la question de la destruction de l’habitat d’une cinquantaine d’espèces protégées (écrevisse à pieds blancs, sonneur à ventre jaune, triton crêté, petite scutellaire, etc.).

Pierre & Vacances a déclaré son intention de se pourvoir en cassation. La société entend bien lancer la construction de son Center Parc de Roybon à la fin 2015, pour une livraison deux ans plus tard. Le patron de la firme a mis un peu d’eau dans son béton en se déclarant "favorable au compromis" : les opposants notent ironiquement que "c’est la première fois qu’il envisage le dialogue". Un jugement sur le fond est attendu pour juin 2015. J’ignore comment tout cela finira. J’espère sans violence : la mort de Rémi Fraisse sur le site du projet de barrage de Sivens devrait remettre un peu de prudence et de bon sens dans les cervelles des deux camps. Je suis sûr d’une chose : 40 hectares de la forêt de Chambaran ont d’ores et déjà été défrichés – rasés, ravagés, anéantis par les bulldozers, au mépris des dispositions de la loi sur l’eau.

Des profits pour quelques-uns, des pertes pour la collectivité

Je n’aimerais pas que, dans tous ces dossiers de Grands projets idiots (GPI), on oublie une leçon essentielle de la science que constitue d’abord et avant tout l’écologie. Un rapport d’avril 2009, commandé par le ministère de l’Écologie, intitulé "Fixer la valeur économique de la biodiversité" et coordonné par Bernard Chevassus-au-Louis, montre que les forêts, les rivières, les zones humides, les prairies permanentes, les montagnes, les côtes marines, les lagunes, les récifs de coraux, etc., sont non seulement admirables et riches aux yeux du naturaliste, mais assument, régulent ou optimisent des fonctions aussi variées que notre approvisionnement en eau potable et en matières premières organiques, le recyclage du carbone, de l’azote et du phosphore, l’épuration de l’air, la stabilisation du climat, l’amélioration des cultures, etc. Les services que nous rend la nature sauvage (sans contrepartie, ni salaire !) valent, suggère cette étude, au moins dix fois ce que cette même nature rapporte quand on la massacre, c’est-à-dire lorsqu’on l’exploite selon des critères de la rentabilité à court terme, en coupant les arbres, en barrant les rivières, en asséchant les marais, en bétonnant et en goudronnant tous azimuts…

Dix fois ! Chacun doit désormais tenir compte de cet ordre de grandeur, dès lors qu’il se propose d’"aménager" ou de "mettre en valeur" une contrée encore en bon état écologique… Les "Grands projets idiots" rapportent de l’argent à quelques-uns, certes. Ils en coûtent, en moyenne, dix fois plus à la collectivité.

 

 

Source : leplus.nouvelobs.com

 

Le rapport d'avril 2009 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/094000203/0000.pdf

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