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6 février 2013 3 06 /02 /février /2013 09:52

 

 

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mercredi 9 août 2006, par Gérard Borvon


Au cœur du financement de l’eau en France on trouve les Agences de l’eau et le système des redevances. Au delà des sommes qu’elles collectent et qu’elles distribuent, les agences occupent une place centrale dans la mise en œuvre du "partenariat-public-privé" cette bonne idée française qui consiste à faire payer l’investissement au public et à réserver les bénéfices au privé. Ce modèle que "l’école française" de l’eau s’emploie à exporter. Il semble donc intéressant dans le cade d’une étude de la "marchandisation de l’eau" à la française de nous arrêter un moment sur les Agences de l’eau.


En France le budget de l’eau pour 2001 était de 18 milliards d’euros, soit environ 50% de la dépense consacrée à l’environnement. Ce budget devrait croître dans les années à venir car, pour répondre aux directives de la loi cadre européenne, les industriels de l’eau et les politiques qui les soutiennent n’envisagent pas d’autre solution que de multiplier les tuyaux des interconnexions, les usines de traitement au lieu de lutter contre les causes des pollutions.


Sur ces 18 milliards, 15 milliards sont payés directement par l’usager. 4 milliards pour l’investissement, 11 milliards pour le fonctionnement. Les 3 milliards restants sont indirectement payés par les contribuables ou encore par les usagers par l’intermédiaire d’organismes divers au premier rang desquels on trouve les agences de l’eau qui participent pour 1,3 milliards


Au cœur de ce financement on trouve donc les Agences de l’eau et le système des redevances. Au delà des sommes qu’elles collectent et qu’elles distribuent, les agences occupent une place centrale dans la mise en œuvre du partenariat-public-privé qui est le modèle que "l’école française" de l’eau s’emploie à exporter. Il semble donc intéressant dans le cade d’une étude de la "marchandisation" à la française de nous arrêter un moment sur les Agences de l’eau.


Une bonne idée détournée : les agences de bassin.

Si les multinationales de l’eau sont regardées avec suspicion dans le monde, il existe une institution française dont on nous dit que le modèle est partout reconnu. C’est cette organisation qui vient d’être reprise par l’Europe et devrait être généralisé à la Planète : celui des Agences de l’eau.


Elles sont issues de la loi sur l’eau de 1964. C’est la Commission de l’Eau créée à l’occasion de la préparation du Vème plan qui fait le constat d’une réaction nécessaire à la progression de la pollution de l’eau et élaboré ce projet de loi. D’emblée la démarche est novatrice :


-  elle opère une décentralisation intelligente de la gestion de l’eau en substituant aux divisions administratives que sont les départements, une division géographique, et donc environnementale, en choisissant les bassins hydrographiques comme camp d’action. Ainsi sont créées les six agence de Bassin : Loire Bretagne ; Seine Normandie ; Artois Picardie ; Rhin Meuse ; Rhône Méditerranée Corse ; Adour Garonne.


-  elle crée les comités de bassin qui se voudraient des "parlements de l’eau" avec une triple représentation : les collectivités territoriales (communes, départements, régions) ; les usagers ; les administrations de l’état.


-  Elle dote les agences de l’eau d’une autonomie financière avec la possibilité de lever des redevances sur les utilisateurs d’eau.


La loi sur l’eau de 1992 confirme et renforce ce dispositif en instaurant les SDAGE et les SAGE sous la responsabilité d’un "préfet coordonnateur de bassin".


C’est donc ce modèle, nous dit-on, qui a fait, entre autres, la célébrité de "l’école française de l’eau" et que le monde entier est supposé nous envier. Pourtant il est soumis, en France, à des critiques de plus en plus nombreuses et il mériterait donc une sérieuse analyse avant que d’être exporté.


Une compétence technique mal utilisée :

Il est certain qu’en presque 30 années de fonctionnement et avec des moyens financiers importants qui étaient les leurs, les agences on su développer en leur sein une compétence technique que l’on ne retrouve pas ailleurs. On s’en rend compte, par exemple en ce moment, où le nécessaire état des lieux exigé par la directive cadre européenne mobilise les professionnels des agences avec une efficacité qu’il faut reconnaître. On mesure aussi à cette occasion combien ce potentiel de compétences est largement inexploité faute d’orientation claire.


Un système détourné

La première critique institutionnelle est venue du commissariat au plan dans son "évaluation du dispositif des Agences de l’eau" rendu public en 1997. Le rapport indiquait clairement que les sommes astronomiques investies n’avaient eu que peu d’effet.


Cependant ce sont les consommateurs, et parmi eux les consommateurs bretons, qui ont été les premiers à contester le système des Agences. Leur constat était simple : ils recevaient à leur robinet une eau à la foi de plus en plus polluée et de plus en plus chère. La courbe de la pollution étant parallèle à la courbe du prix.


Une eau de plus en plus chère 

Les agences ne sont pas les seules responsables de l’augmentation massive du prix de l’eau. En Bretagne par exemple l’eau coûte en moyenne 20% de plus que le prix moyen calculé sur l’ensemble de la France.


On pourrait imaginer ce prix lié à la pollution mais à y regarder de plus près on constate que ce différentiel est largement dû au fait que la gestion de l’eau y est largement déléguée aux entreprises privées. Il existe aussi en Bretagne des villes où l’eau est un prix raisonnable. Elles sont en général gérées en régie directe.


Ce sont les élus locaux qui sont responsables de ces prix élevés et de ces bénéfices accordés aux entreprises privées mais il leur était facile de se défausser en faisant valoir que l’essentiel de l’augmentation du prix de l’eau était dû à l’augmentation des redevances prélevées par les agences de l’eau.


Et c’était vrai. A partir de 1990 et en l’espace de 10 ans les redevances ont triplé pour représenter de l’ordre du quart de la facture d’eau et d’assainissement. C’est à cette occasion que les consommateurs ont découvert l’existence de ces Agences de l’Eau où ils sont supposés être représentés mais dont personne jamais ne leur a demandé ni de définir la politique ni de choisir leurs représentants.


Ils se sont donc interrogés sur le montant et l’usage qui était fait de ces redevances pollution qui augmentaient au même rythme que la pollution qu’ils subissaient.


-  Ils ont d’abord constaté qu’étant responsables de 8% de la pollution diffuse ils payaient 85% des redevances.
-  Ils ont également compris que ces redevances alimentaient deux types de lobbies : celui des pollueurs, mais aussi celui des dépollueurs.


Le lobby des pollueurs c’est essentiellement celui de l’agroalimentaire productiviste responsable pour 75% de la pollution, qui ne paie que 1% des redevances, mais qui reçoit 15 fois plus de subventions à travers le PMPOA (plan de maîtrise des pollutions d’origine agricole). Pour donner une idée de cette disproportion, le rapport du commissariat au plan de 1997 établit que dans le bassin Loire - Bretagne qui compte 12 millions d’habitants, "la pollution émise par les éleveurs s’établit à environ 135 millions d’habitants". Rien que pour la région Bretagne qui copte 3 millions ’habitats, la population animale est estimée à 60 millions d’habitants.


Le lobby des dépollueurs ce sont les entreprises délégataires de l’eau qui poussent à la réalisation d’unités de traitement de plus en plus coûteuses, de retenues et d’interconnexions. Ou même comme dans le Finistère, d’usines de traitement du lisier. Ce faisant elles contribuent à masquer le problème. De plus à travers les subventions que ces projets reçoivent des Agence, elles font réparer aux consommateurs domestiques les dégâts des autres alors que, en toute logique, les redevances pollution domestique ne devraient être utilisées que pour réparer et surtout prévenir leur propres dégâts.


Le principe "pollueur - payeur" est supposé être à la base du fonctionnement des Agences, les consommateurs domestiques ont plutôt l’impression qu’on leur applique le principe "pollué - payeur".


Premières luttes

Le rapport de 1997 du "commissariat au plan" confirmait que le consommateur domestique avait de bonnes raisons de se sentir lésé et d’exiger plus d’efficacité dans l’utilisation d’un argent qui était essentiellement le sien.


Le rapport constatait que jusqu’à présent le consommateur avait peu protesté "parce que le prix de l’eau était bas, que longtemps elle a été tarifée au forfait, que beaucoup d’usagers ne savent pas individualiser leur facture, fondue dans les charges immobilières et qu’ils sont peu présent dans les instances de bassin" Mais, remarquait le rapport, les choses changeaient et il citait en particulier les actions menées par les consommateurs bretons.


Après les consommateurs de Guingamp qui avaient poursuivi la Lyonnaise pour fourniture d’eau non conforme, ce sont plusieurs milliers de consommateurs de Bretagne réunis dans un collectif eau - pure qui ont opéré des retraits sur la partie redevance pollution de leur facture. Ce mouvement est en train de reprendre sous la dénomination "Nénuphar" qui symbolise la volonté de s’étendre.


Les comités de bassin : une fausse démocratie

Les comités de bassin ne sont pas des "parlements de l’eau". Dans le collège des consommateurs on trouve beaucoup d’industriels, beaucoup de représentants du monde agricole mais seulement deux ou trois représentants des associations de consommateurs supposées représenter les millions de consommateurs domestiques qui alimentent les caisses des Agence. Le commissariat au plan notait en 1997 que sur 535 membres de l’ensemble des comités de bassins, il n’y avait que 9 représentants des consommateurs soit 1,7% des représentants pour une catégorie qui paie 85% des redevances !


Les élus, censés représenter les intérêts de leurs concitoyens, ne sont généralement préoccupés que par les intérêts des groupes économiques. On peut faire la même remarque au sujet des administrations qui se comportent en relais du lobby dominant dans leur secteur. Le ministère de l’industrie parle pour les industriels, celui de l’agriculture pour les agriculteurs. Même ceux qui sont chargés de la consommation et de l’environnement agissent dans le même sens.


Personne donc n’est là pour représenter le consommateur domestique que l’on peut taxer allègement. C’est ce que relève le rapport du commissariat au plan en indiquant en termes mesurés que quand des catégories de consommateurs ne sont pas représentées dans un dispositif, une entente pourra se nouer entre les acteurs présents "pour transférer en partie les charges sur les absents."


L’objectif des agences est d’abord la collecte de fonds.

Ces fonds qui d’une façon ou d’une autre iront alimenter les groupes industriels de l’eau qui gèrent directement 80% du marché et qui fournissent également les 20% du marché public restant.


Dès 1997 le rapport du commissariat au plan avait pointé le problème : les Agences ne fixent pas leur besoin de financement en fonction d’objectifs planifiés et hiérarchisés, elles se fixent d’abord le montant global des redevances qui doivent être au minimum égales à celles des années précédentes et elle établit des programmes en conséquence.


Le principe "pollueur - payé".

Dans le domaine de l’environnement il est des mots qui perdent rapidement leur sens. Il en est ainsi du "développement durable" qui est mis à toutes les sauces de ceux qui pensent surtout à durablement polluer. Il en est ainsi du principe "pollueur - payeur " qui aurait dû prendre le sens de sanctions financières suffisamment fortes pour dissuader les pollueurs mais qui s’est transformé en droit à polluer. Voire même en principe "pollueur - payé" dans la mesure où les aides de l’agence financent les pollueurs pour que tout simplement ils reviennent dans les normes. On a vu que pour l’agriculture cela prend des proportions extravagantes.


En ce qui concerne le consommateur domestique le principe est même, comme nous l’avons vu, celui de "pollué - payeur".


Ce système trouve évidemment de farouches défenseurs du côté des industriels. Dans un récent colloque au Sénat sur le financement de la politique de l’eau, le représentant de la FENARIVE (Fédération Nationale des associations de Riverains et utilisateurs industriels de l’eau) a parfaitement exprimé la position des industriels. Je le cite :

"La nouvelle politique de l’eau devra rassurer les actionnaires en maintenant l’équilibre entre les redevances et les aides financières". Vous avez bien lu il ne s’agit même plus de défendre la pérennité des entreprises mais de rassurer les actionnaires. Difficile d’être plus clair.


Naturellement ce principe rend le système totalement inefficace car si on exige d’être payé pour simplement respecter les normes, il ne servirait à rien d’essayer de faire mieux. Au contraire on limitera son effort en fonction des subventions attendues. Or aujourd’hui respecter les normes ne suffit plus. Il faut aller bien au-delà. On ne parvient même pas à stabiliser la pollution et dans la perspective de la date buttoir de 2015 fixée par la directive cadre européenne on voit déjà les collectivités préparer leurs dossiers de dérogation tant elles sont sures de ne pas atteindre leurs objectifs.


Deuxième résultat : comme les Agences dépendent des décisions des maîtres d’ouvrages, elles prévoient plus de recettes que de subventions réellement accordées. Un programme comme le PMPOA par exemple est en panne et l’argent mis en réserve ne quitte pas les caisses. Ce qui a permis cette année au ministère de finances de récupérer 240 millions d’euros non utilisés.


Le consommateur voit donc ses redevances simplement transformées en impôt. Un détournement opéré sans beaucoup de réactions de la part de ceux qui dans les années passées se présentaient comme les plus farouches défenseurs de l’indépendance des Agences.


En résumé, un système inéquitable, antidémocratique, coûteux pour le consommateur, peu efficace. Mais un système qui mobilise beaucoup de capitaux disponibles pour les entreprises de l’eau. C’est ce système que le France veut exporter.


Qui a intérêt à exporter ce modèle ?

A l’évidence les "majors de l’eau" car c’est une pièce maîtresse du système de "Partenariat Public Privé" qu’ils veulent généraliser sur la planète à travers le Conseil Mondial de l’eau et ses organisations satellites.


Les agences de l’eau prennent leur place dans ce dispositif avec la création de RIOB, le réseau international des organismes de bassin. Créé en 1995, le réseau comprend aujourd’hui 134 organismes de 51 pays. Dans un récent numéro de la revue le l’agence Loire-Bretagne, l’intérêt du gouvernement français pour ce réseau était clairement exprimé. Je cite :

"Le gouvernement français effectue la promotion de ce système institutionnel original avec pour objectif : 

-  d’affirmer la compétence de la France dans un domaine de première importance, en montrant sa maîtrise administrative et technique.

-  de favoriser le commerce extérieur français en ouvrant de nouveaux marchés aux entreprises et bureaux d’études spécialisés. L’organisation préconisée vise notamment à mobiliser les financements nécessaires à la réalisation d’investissements importants, à travers une politique de recouvrement des coûts et une incitation économique s’appuyant sur un système de redevances. "


Ce texte est donc clair : les agences seront les éclaireur des entreprises françaises de l’eau.


Alors faut-il jeter les agences de l’eau avec l’eau du bain ?

J’ai eu l’occasion de souligner la compétence technique accumulée par les techniciens de l’eau qui y travaillent. Elles peuvent devenir un intéressant instrument de préservation et de reconquête de la qualité de l’eau à condition de modifier de façon radicale leur représentativité, leur financement et les objectifs qui leur sont fixés.

 


Gérard Borvon S-eau-S



Source: http://seaus.free.fr/spip.php?article42

 

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