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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 12:07

 

 

 

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Guillaume Pepy, vous êtes président de la SNCF. Comment expliquez-vous la dégradation de la régularité des trains ?

Le réseau ferroviaire s'est dégradé et n'est plus aujourd'hui en situation de supporter correctement le développement du trafic. Réseau ferré de France (RFF, propriétaire et gestionnaire des infrastructures) engage des travaux – et c'est tant mieux ! - mais dans l'immédiat, ils allongent les parcours ou génèrent des retards.

 

Se pose également le problème des actes de malveillance, des vols de câbles, des suicides qui perturbent lourdement l'exploitation. Nous avons aussi notre propre responsabilité pour rendre plus souple le fonctionnement de l'entreprise et accélérer le renouvellement des trains. Nos voyageurs sont devenus plus exigeants et se comportent de plus en plus comme des consommateurs : c'est un bien.

 

Je suis frappé par le fait qu'il y a encore quinze ans, les mots d'ordre étaient "fermez les petites lignes" ou "enlevez les rails des centres-villes". Le débat sur les grandes pénétrantes autoroutières dans les villes était encore vivace. Avec les crises énergétique et financière, le train retrouve une pertinence mais les décisions n'ont pas toujours suivi à temps. Personne, y compris à la SNCF, n'avait anticipé un tel retour en grâce du train.

 

Quel bilan tirez-vous de la dissociation, en 1997, entre le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire et le transporteur ?

Nous allons vers une impasse financière. Notre système RFF-SNCF n'a pas d'avenir. Ce modèle n'optimise pas la dépense collective. J'ai tiré le signal d'alarme. Il conduit chaque acteur à agir de manière égoïste. RFF cherche des ressources en augmentant les péages de la grande vitesse. Aux bornes de RFF, c'est cohérent, mais aux bornes du système, c'est absurde car cela veut dire que le réseau grande vitesse, sans cesse étendu, sera proportionnellement de moins en moins utilisé. Les voyageurs se détourneraient alors du train pour revenir à la voiture. C'est une vision malthusienne.

 

Si la SNCF devait consacrer une part excessive de ses moyens aux péages, elle serait conduite à réduire les dessertes et ne commanderait plus de nouveaux TGV. Aux bornes de la SNCF, c'est rationnel. Aux bornes du système, cela affaiblirait dramatiquement l'industrie ferroviaire. A raisonner ainsi, chacun pour soi, le chemin de fer français va dans le mur.

 

Le moment est venu de faire un vrai bilan de la réforme de 1997 qui mérite des ajustements. La Commission européenne, qui a poussé à cette dissociation au niveau de l'Union, le constate aussi. Si la France a le courage de regarder les choses en face, on va peut-être pouvoir inventer le futur de façon cohérente, en accord avec l'Europe.

 

Que vous répondent justement les responsables politiques ?

Ils sont aujourd'hui réceptifs à ce message. Ils disent : "Oui, on en est conscients." Mais ils n'ont pas encore trouvé la solution. Travaillons ensemble !

 

Quel serait le bon modèle ?

Les Français sont allés très loin dans la séparation de l'infrastructure et du transport. Le duo RFF-SNCF n'a pas créé les conditions d'un pôle français fort et d'une optimisation de la dépense publique. Les Allemands, eux, ont conservé leur caractère intégré. Ils ont gardé une holding commune. Regardons toutes les solutions. Nos voisins ont surtout réglé de nombreux problèmes : désendettement total, prise en charge du surcoût lié au statut des cheminots par le biais d'une caisse spécifique, large financement public par les Länder.

 

Les surplus dégagés en Allemagne par la Deutsche Bahn financent par exemple les acquisitions en Grande-Bretagne. Ce succès leur permet désormais de conquérir des marchés en Europe. De plus en plus se profile le scénario d'une Europe du ferroviaire dominée par l'Allemagne. Où est la place de la France ?

 

Le transport ferroviaire peut-il être rentable ?

Le système ferroviaire ne s'autofinance dans aucun pays. C'est comme si on disait que les routes vont être financées par les automobilistes. Hors autoroutes, le réseau est largement payé par la collectivité. Croire que le contribuable va se désengager, et que le voyageur ou le chargeur vont assurer seuls le coût, n'aboutirait qu'à creuser les pertes. Trop ponctionné, le client reviendrait alors à la route. L'infrastructure serait étendue mais de moins en moins utilisée. Un non-sens !

 

La création de transports collectifs n'est pas rentable, du moins tant que les coûts externes (accidents, temps perdu dans les embouteillages, pollution...) ne sont pas mesurés et intégrés. Il manque de l'ordre de 1 milliard d'euros par an dans le financement du ferroviaire. Il faut avoir le courage de développer une ressource propre au transport durable, assise sur des coûts externes : taxe carbone, taxe à l'essieu, eurovignettes, péage urbain ou autre. Il faut développer une fiscalité écologique qui profite aux systèmes de transport vertueux.

 

Que pensez-vous des nouveaux projets de lignes à grande vitesse prévus par le Grenelle de l'environnement ?

Le TGV est une fierté française. C'est très ambitieux de construire quatre lignes en même temps quand, jusque-là, on les construisait une par une. Ce faisant, le risque est de faire exploser les péages demandés par RFF ou les concessionnaires. Sur la nouvelle ligne Tours-Bordeaux, les péages prévus, assez dissuasifs, ne permettraient pas de faire circuler davantage de trains pour rentabiliser la ligne. On risque d'avoir un trafic supplémentaire bien plus faible qu'espéré.

 

La SNCF n'a-t-elle pas elle-même succombé au tout-TGV dans le passé ?

Le risque est de se retrouver avec des lignes à grande vitesse de plus en plus longues et de moins en moins utilisées. La construction d'un réseau de LGV en France, c'est l'affaire d'une génération, pas de quelques années. Enfin, le financement des lignes à grande vitesse ne peut se faire au détriment de celui du réseau existant.

 

Ma priorité - et celle fixée par le chef de l'Etat dans ma lettre de mission -, ce sont les trains du quotidien. La SNCF sait ce qu'elle doit au TGV, qui est aujourd'hui la troisième activité après nos trains du quotidien et la logistique de marchandises. Je suis un militant convaincu du réseau classique. D'autant que certaines lignes de banlieue sont aussi dans une impasse. Il est irrationnel, par exemple, d'installer des entreprises le long des lignes de RER aujourd'hui saturées. Cela ne peut que générer une médiocre qualité de service.

 

 

Propos recueillis par Benoît Hopquin et Jean-Michel Normand

 

 

Article paru dans l'édition de « Le Monde » du 26.03.11

 

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