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26 août 2015 3 26 /08 /août /2015 20:09

 

SAMEDI 22 Août 2015

Christophe KoesslerPostez un commentaire

 

RÉCHAUFFEMENT • L’agriculture et les systèmes alimentaires  produiraient la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Bilan et alternatives avec l’agronome Emmanuel Lierdeman.

Climat: «changer notre agriculture»

L’agriculture n’a souvent plus rien de l’image champêtre et idyllique qu’elle véhicule encore. A elle seule, elle est responsable de près de 15% des émissions de gaz à effet de serre sur la planète (contre 17% pour l’industrie), indique  , ingénieur agronome. L’enseignant à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève donnera une conférence sur l’agriculture et le changement climatique dans le cadre du Festival des initiatives locales pour le climat Alternatiba qui aura lieu en septembre. Il livre, en avance pour Le Courrier, son analyse et fait l’inventaire des alternatives existantes (lire ci-dessous). Interview.

 

La part de l’agriculture dans le changement climatique est considérable, même sans comptabiliser les 18% dus à la déforestation, qui servira, en majeure partie à l’agriculture et à l’élevage...
Emmanuel Lierbeman: Oui, d’autant plus si on tient compte de l’amont et de l’aval du système. Depuis la révolution industrielle, l’agriculture est elle-même industrialisée et est inféodée à ce système de production aussi bien en amont qu’en aval. Elle est une grosse consommatrice de machines agricoles et d’intrants de synthèse (engrais et pesticides), elle fournit des produits à l’industrie agroalimentaire qui les transforme et les transporte et qui va elle-même ­alimenter la grande distribution (emballage, réfrigération, etc.). C’est là qu’il y a davantage d’émissions de gaz à effet de serre, plus que dans la ­production elle-même. D’après des chiffres donnés par l’ONG Grain, le système alimentaire mondial serait ainsi responsable d’environ 50% du total des émissions de gaz à effet de serre. J’en conclus que s’il est ­souhaitable de remplacer la voiture par le vélo dans nos déplacements, d’éviter l’avion, de limiter l’achat de produits industriels à obsolescence programmée, la priorité revient bien à modifier nos systèmes alimentaires!

 

Ce système agricole est d’ailleurs relativement nouveau...
Oui, il est né au milieu du XVIIe siècle avec la machine à vapeur, s’est développé au XIXe siècle, mais il a connu une véritable accélération en Europe seulement après la Seconde Guerre mondiale avec le plan Marshall. Une grande partie des subventions agricoles sont en fait des subventions à l’industrie, car l’agriculteur achète avec cela des tracteurs, des engrais et des pesticides.

C’est donc l’agriculture industrielle qui est mise en accusation, pourquoi?
Que l’agriculture émette trop de dioxyde de carbone est un paradoxe, car elle repose sur la photosynthèse, qui n’est rien d’autre que la transformation du CO2 de l’atmosphère en chaînes d’hydrates de carbone (matière organique). L’agriculture devrait donc par nature présenter un bilan équilibré à cet égard. Or, les procédés agricoles industriels entraînent la génération de gaz à effet de serre à plusieurs niveaux: construction des machines-outils, fabrication des engrais et pesticides (une tonne d’engrais azoté nécessite environ deux tonnes de pétrole), acheminement jusqu’au champ, labours profonds, épandage des engrais et pesticides...

 

Le fait que ce modèle soit orienté vers la production de viande et de lait pose aussi problème.
Les élevages intensifs de ruminants génèrent d’importantes émissions de méthane. Ce n’est pas le cas des volailles et cochons. Ces animaux sont de plus en plus nourris avec des céréales, au détriment de l’herbe et donc des prairies. Ainsi, en Europe, deux tiers des céréales servent à nourrir des animaux d’élevage. Nous disposerions de bien davantage d’aliments – et de milieux semi-naturels! – si nous consommions moins de viande. En Europe de l’Ouest une baisse de la consommation de viande est amorcée, mais elle ne compense pas la très forte augmentation en Chine et dans d’autres pays émergents.

 

La Suisse nourrit-t-elle aussi massivement ces animaux avec du fourrage céréalier et du soja?
La Suisse a multiplié par plus de dix ses importations de tourteaux de soja depuis quinze ans pour augmenter la production laitière par vache. Une vache Holstein, dûment sélectionnée, nourrie au maïs et soja, produit deux fois plus de lait que ses cousines à l’herbe. Malheureusement, on ne prend pas en compte les conséquences sociales et environnementales de cette intensification, tant dans nos pays que dans les pays exportateurs de soja.

 

Les émissions de gaz dues à l’agriculture sont-elles essentiellement générées dans les pays du Nord?
Je ne dispose pas de chiffres sur ce point. Dans les pays du Sud subsistent encore largement des cultures vivrières. Elles coexistent avec d’immenses exploitations industrielles tournées vers l’exportation, dont les impacts sont désastreux. La fracture n’est pas entre Nord et Sud mais entre modèle paysan familial – encore majoritaire – et modèle industriel.

 

Quelles sont les conséquences du changement climatique sur l’agriculture?
Cet été, l’armée suisse a dû avoir recours à des hélicoptères pour puiser de l’eau dans les lacs afin d’abreuver les vaches dans les alpages. Au-delà de l’anecdote, cela illustre le changement climatique en cours. Le réchauffement induit déjà une remontée de certaines cultures vers le nord et une avancée des dates de récolte. Mais il provoque surtout des évènements climatiques extrêmes de plus en plus violents: orages, inondations, sécheresses et chaleurs excessives. On a la preuve désormais que la fréquence de ces évènements et leur ampleur augmentent. Les pays les plus touchés se trouvent dans des régions déjà chaudes et sèches, ou soumises aux moussons, donc souvent plus pauvres et plus vulnérables. Enfin, en région tempérée nous assistons à une augmentation de la pression des ravageurs des cultures, en raison d’une dérégulation des équilibres biologiques ou de résistances aux pesticides, mais aussi d’une remontée de parasites des régions méditerranéennes ou subtropicales vers le nord, par exemple à la faveur d’hivers trop doux. I
  

L’agroécologie joue en équipe

Quelles sont les alternatives à cette agriculture hostile au climat ?
Cela tient en un mot: l’agroécologie, à savoir ­l’écologie appliquée à la production de denrées alimentaires. Concrètement, cela signifie a minima de restaurer une complémentarité entre productions végétales et animales, puis renouer avec la diversité des cultures, des espèces et des variétés, au sein de la ferme, voire au sein des parcelles. Il s’agit de s’inspirer des écosystèmes pour obtenir des agrosystèmes aussi robustes que possibles. La diversité est essentielle pour obtenir cette stabilité, un équilibre entre les ravageurs des cultures et leurs prédateurs par exemple. Au niveau du sol, cela signifie maintenir ou restaurer un taux de matière organique élevée et la vie qui s’y déploie. Il faut donc éviter les labours profonds et le compactage de la terre par de lourdes machines, ainsi que les engrais minéraux et les pesticides qui portent atteinte à la vie dans les sols. Si on ne respecte pas les lombrics, les champignons, les bactéries et les autres micro-organismes présents dans la terre, on perd la fertilité du sol. On hypothèque donc notre alimentation à venir.

 

L’agriculture industrielle a tout de même décuplé les rendements...
Oui, mais pour combien de temps? de 50 à 150 ans ? Si on continue à dégrader nos sols ainsi, on ne tiendra pas très longtemps, sans compter tous les autres dégâts environnementaux qu’un tel système génère.

 

L’une des forces de l’agroécologie est la complémentarité entre les espèces pour nourrir la terre et éviter les parasites et maladies de culture.
Pour se passer des engrais azotés, il faut soit élever des animaux (pour le fumier) soit cultiver des légumineuses (exemples: lentilles, fèves, pois chiche) en alternance avec les céréales, ou les deux ensemble (cultures associées). Les légumineuses fixent l’azote de l’air et le rendent assimilable par les plantes. Les cultures associées sont aussi plus robustes face aux ravageurs. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. L’agroécologie n’est pas un retour en arrière mais une agronomie plus subtile.

 

Peut-on produire suffisamment sans agriculture industrielle?
On peut aujourd’hui nourrir 12 milliards d’êtres humains à partir d’une agriculture écologique. C’est bien sûr contesté mais cela a été largement démontré par nombre d’agronomes tropicalistes, puis repris brillamment par Olivier de Schutter, l’ex-rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation. Pour cela, il faut cesser de casser les marchés dans les pays pauvres avec nos excédents agricoles subventionnés et, au contraire, protéger leurs débouchés locaux de la concurrence. C’est le libre-échange qui aujourd’hui les affame.

 

L’agriculture écologique suppose davantage de travail. Est-elle donc moins efficace?
Remettre des chômeurs au travail serait plutôt positif. Bien sûr, il faudra payer cette main d’œuvre. Là où le bât blesse, c’est que le prix de revient apparent du produit est plus bas avec l’agriculture industrielle. Mais ce prix n’intègre pas le coût social du produit – par exemple la diminution du nombre d’actifs dans l’agriculture –, ni son coût environnemental très élevé – dégradation des sols, contamination des eaux, perte de biodiversité, etc. –, encore moins son impact sur la santé. Tous ces coûts externes sont payés par la société. L’agroécologie est donc plus chère pour le consommateur – qui n’a jamais dépensé aussi peu pour son alimentation, seulement 8% de son budget moyen en Suisse! –, mais elle moins onéreuse pour la société. Propos recueillis par Christophe Koessler

 

Source : http://www.lecourrier.ch/132092/climat_changer_notre_agriculture

 

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