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14 mai 2020 4 14 /05 /mai /2020 17:13

 

 

 

Entretien avec La Quadrature du Net

13/05/2020

La proposition de loi contre les contenus haineux, sera soumise au vote des députés ce mercredi 13 mai. QG fait le point avec Klorydryk, membre de La Quadrature du Net, sur les dangers de cette législation, qui donne des pouvoirs inédits aux plateformes et à la police, ainsi que sur les problèmes que pose l’application StopCovid

« Avec la loi Avia, la police pourra exiger le retrait de contenus dans l’heure »

A peine le déconfinement commencé, la majorité présidentielle s’active à nouveau pour renforcer la législation sur Internet avec la proposition de loi Avia contre les contenus haineux, qui sera soumise au vote des députés ce mercredi 13 mai 2020. Celle-ci accentue la pression pour rendre inaccessible tout contenu considéré comme haineux dans les 24 heures après notification auprès de l’hébergeur. De quoi susciter une restriction supplémentaire en matière de libertés individuelles et publiques, comme le souligne Klorydryk, membre de l’association La Quadrature du Net, qui a répondu aux questions de Jonathan Baudoin pour QG. Interview

 

QG : La proposition de loi dite Avia, relative à la lutte « contre les propos haineux sur internet », est en passe d’être définitivement adoptée à l’Assemblée nationale aujourd’hui, après un an de navette parlementaire. Estimez-vous qu’elle reste toujours aussi inquiétante quant à la question des libertés individuelles sur le net ?

Klorydryk : Oui. Elle l’est même encore plus depuis le dernier jour de débat à l’Assemblée nationale, vu qu’a été introduit l’amendement visant à ajouter la possibilité pour la police de demander la suppression de contenus en une heure. Déjà, les 24h de délai laissées aux fournisseurs de services étaient largement trop courtes pour pouvoir faire les choses correctement. En une heure, nous sommes absolument certains que personne n’ira regarder si la demande de la police est fondée, ou pas, sur le type de contenu qu’elle doit enlever ; et nous sommes à peu près certains que l’ensemble des services retirera les contenus demandés par la police sans même réfléchir.

 

QG : Dans les articles 1 et 2 de la proposition de loi, il y a insistance sur la volonté de rendre inaccessible tout contenu notifié comme illicite dans les 24h suivant la notification auprès des plateformes en ligne. En quoi ce délai est-il trop court à vos yeux pour que les plateformes en ligne modèrent correctement les contenus, et quel type de dérives cela peut générer ?

Le délai de 24h est bien trop court ! La LCEN [Loi pour la confiance dans l’économie numérique, NDLR] définissait une durée qui était définie comme « promptement ». Ça devait être suffisamment rapide, mais sans fixer de durée claire et nette. Ce qui permettait que, bah un week-end ou une nuit, on pouvait laisser le temps au personnel de vérifier que c’était réellement illicite. Il n’y avait pas de course contre la montre à enlever la chose, avec une amende à la clé. On pouvait porter plainte devant la justice si on trouvait que la durée de retrait était trop longue. Et à ce moment-là, un juge décidait si, en effet, l’hébergeur avait mis trop de temps, ou pas, pour enlever le contenu. Aujourd’hui, 24h, ça impose d’avoir soit énormément de petites mains qui vont aller vérifier tous les contenus ; soit des algorithmes qui n’auront aucune capacité d’analyse sur la qualité du contenu qu’ils auront en face d’eux puisqu’ils vont réagir par mots-clés, ou via des typologies de phrases qui vont être absolument décontextualisées. Nous pensons que le vrai risque, c’est qu’ils vont enlever tous les contenus qui vont leur être présentés.

 

QG : Comment analysez-vous la mise en place d’un « observatoire de la haine en ligne » qui serait sous la tutelle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans le cadre de la proposition de loi ?

Ce qui nous pose problème, c’est que nous considérons que c’est à la police de faire ce travail, c’est-à-dire, recevoir des plaintes vis-à-vis ds gens qui déposeraient des messages de haine, d’appel à la haine, d’appel au viol, etc. C’est la police qui doit mener l’enquête. C’est la police qui doit faire les réquisitions et qui doit transmettre les dossiers au juge qui, lui, condamnera éventuellement la personne qui a commis des délits. Aller créer un observatoire, mettre en place des organismes, c’est une non-réponse en fait. C’est juste noyer le poisson. Ce qu’il faut, ce sont des moyens pour la justice, ainsi que la formation de personnes spécialisées dans les délits en ligne pour la police. Pas des organismes lambda qui vont encore faire un rapport par an, dilapider de l’argent et finalement ne servir à rien.

 

QG : Dans une première analyse de la proposition de loi, la Quadrature du Net avait souligné combien le pouvoir exécutif, à travers les services de police en ligne, prendrait le dessus sur le pouvoir judiciaire. Estimez-vous que ce déséquilibre reste persistant dans la deuxième lecture de la proposition de loi ?

Tout à fait. Rien n’a changé sur cette question-là.

 

QG : Comment expliquez-vous cela ?

C’est la volonté du gouvernement de mettre ça en place. Cette loi est présentée par Madame Avia, mais c’est en réalité un texte du gouvernement. Et il maintient sa position là-dessus. Le texte a été modifié par le Sénat, mais a été réécrit à son retour devant l’Assemblée nationale et il y a toutes les chances que quoi qu’ait fait le Sénat en seconde lecture, l’Assemblée nationale, à la demande du gouvernement, réécrive exactement la même chose, et insiste sur le contenu du texte.

 

QG : Courant février, l’affaire Griveaux a défrayé la chronique, avec des politiciens clamant que le droit à la vie privée était mis à mal, voire la démocratie dans son ensemble, et que les réseaux sociaux en seraient la cause. Comment analysez-vous cette histoire ?

La plus grande communication autour de ça a été faite autour de l’histoire de l’anonymat en ligne. Or l faut bien souligner qu’il n’y a aucun problème d’anonymat dans cette historie ! De bout en bout, tout le monde est connu. Que ce soit le fournisseur des images, ou la personne qui a transmis à un tiers un document, sans autorisation de l’émetteur. La personne qui a reçu les vidéos de Monsieur Griveaux avait l’interdiction de la transmettre à un tiers : c’est une violation flagrante du secret de la correspondance.

Mais on connaît la personne. Ensuite, les tiers ont eux-mêmes divulgué publiquement ce contenu. En fait, il n’y a absolument aucun rapport, de bout en bout, avec Internet, ni avec l’anonymat. Donc, pour la Quadrature, c’est une non-affaire ! C’est une affaire de mœurs. C’est la diffusion par une autre personne qui pose problème. M. Griveaux doit déposer plainte contre elle et contre la diffusion publique de cette vidéo. Mais ça n’a absolument aucun rapport avec Internet, ni avec l’anonymat. Pour nous, ça ne nous regarde absolument pas.

 

QG : Est-ce que des événements tels que l’affaire Mila ou l’affaire Griveaux pourraient renforcer le caractère répressif de cette proposition de loi et restrictif sur les libertés individuelles selon vous ?

L’Etat n’a pas attendu l’affaire Mila ou l’affaire Griveaux pour mettre des restrictions sur les libertés publiques. Les libertés publiques sont attaquées très régulièrement par les lois, à peu près une à deux fois par an. La seule chose avec ces affaires, c’est que ça leur fourni des fenêtres de communication pour justifier ces lois répressives. Mais ça n’est pas du tout la source de ces réglementations.

 

QG : Quelles seraient les mesures alternatives permettant un rééquilibrage, en faveur du pouvoir judiciaire, selon vous ?

Redonner des moyens à la justice ! Quand on voit l’état actuel de la justice, les moyens des avocats aujourd’hui, qui manifestent justement pour avoir une justice fonctionnelle, et pas seulement pour leurs retraites. C’est un ras-le-bol général que l’on voit du côté de la justice, qui est vraiment le parent pauvre de l’État. Pour 1.000 euros de budget de l’État, trois euros seulement sont destinés à la justice ! C’est extrêmement faible en Europe, dans les pays industrialisés. En fait, c’est prioritairement ça qui permettrait de régler les choses. Si les gens s’apercevaient que leurs actes sur Internet avaient des conséquences réelles et qu’il y avait des condamnations régulières de gens qui émettent des menaces, qui diffusent des informations, qui font du revenge porn, etc., on aurait une réadaptation de la société.

Alors que là, un certain nombre de gens ont des réactions en ligne totalement hors-la-loi et il ne se passe rien, parce que ni la justice, ni la police n’ont les moyens de s’en occuper. Forcément, ça donne l’idée que c’est possible. Puisque personne ne dit rien. Donc, allons-y gaiement et insultons. C’est globalement un problème de capacité de la justice à pouvoir s’attaquer au nœud du problème.

Et puis bien sûr, l’éducation. L’éducation des jeunes à l’expression, à ce qu’il se passe en ligne, la différence entre la communication en ligne et communication réelle, quels impacts ça peut avoir, il faut sensibiliser à ça. Et puis la question de la durée de rétention des données. Bref, qu’est-ce qui se passe quand on fait des choses à 15 ans, à 18 ans ; est-ce qu’on ne va pas se les prendre dans la figure à 30 ans, à 40 ans, quand on va chercher un emploi, etc. ? L’éducation a une grande part de responsabilité dans ce qu’on trouve en ligne.

Mais je le répète, la priorité des priorités c’est de donner des moyens à la justice de faire son travail plutôt que de déporter cette obligation régalienne de réglementer les espaces de discussion vers les plateformes elles-mêmes, des plateformes américaines qui ont déjà bien trop de pouvoir puisqu’elles choisissent déjà ce que les gens voient, et que ça leur permet d’agir sur ce qu’on pense. Et là, on leur demande carrément de déterminer ce que les gens ont le droit de dire sur les réseaux, et c’est totalement démesuré !

 

QG : Avec l’état d’urgence sanitaire ou la tentative de mise de place de l’application StopCovid, ne craignez-vous pas une dérive liberticide ? Si oui, pour quelles raisons ?

L’Application StopCovid pose d’énormes problèmes. Tout d’abord, elle n’aboutira pas à l’objectif qui lui a été fixé. Mais il y a surtout une conséquence qui pose problème, qui est d’habituer la population à utiliser des outils de traçage, à leur faire croire que les outils technologiques peuvent régler les problèmes en cas de crise, ceux-ci étant pourtant des problèmes politiques, des questions d’orientation de budget à mettre dans l’hôpital, des questions de masques, de tests, de matériel disponible, mais aussi d’organisation pour informer les gens, les confiner assez tôt, etc. Faire croire à la population qu’utiliser une application de ce type-là pourrait régler un problème politique, c’est ce qu’on appelle du solutionnisme technologique.

Concernant l’état d’urgence sanitaire, les libertés sont déjà limitées, avec la liberté d’aller et venir que nous avons perdue en étant confinés. Le risque, c’est d’avoir une prolongation sine die de cette période. On espère que ça n’arrivera pas. Mais on se rappelle de l’état d’urgence contre le terrorisme qui avait été renouvelé plusieurs fois, a finalement été inscrit dans le droit commun par le pouvoir actuel. Si cette crise ne disparaît pas rapidement d’elle-même, il y a un risque pour que l’État en profite pour intégrer un certain nombre de dispositions dans le droit commun. Que ce soient des dispositions liées au travail, qui donnent des pouvoir supplémentaires aux employeurs, mais aussi, côté numérique, des dispositions liées à la création et l’usage de nouvelles bases de données, au transfert de données médicales dans le HDH (Health Data Hub, plateforme de données médicales), sous couvert de la crise du Covid-19. Ou d’autres dispositions qui pourraient être créées lors d’une seconde vague et porter atteinte aux libertés fondamentales.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

 

 

Source : https://qg.media/2020/05/13/avec-la-loi-avia-la-police-pourra-exiger-le-retrait-de-contenus-dans-lheure-entretien-avec-la-quadrature-du-net/

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